Monday, May 28, 2007

Interview

Philippe Jeammet : "l'adolescence peut être pénible, mais ce n'est pas une fatalité."

Le passage de l'enfance à l'âge adulte n'a rien d'évident. Pour autant une adolescence réussie doit-elle forcément passer par une crise ? Le Pr Jeammet nous donne les clés pour mieux comprendre les ados.

Comment définir l'adolescence et quelles différences y a t-il avec la puberté ?
L'adolescence est la période de vie qui fait transition entre la vie d'enfant et la vie d'adulte. C'est une réponse de la société face à des phénomènes physiologiques et physiques qu'engendre la puberté. Le début de l'adolescence correspond aux premières manifestations de la puberté, c'est-à-dire aux premières manifestations des caractères sexuels secondaires.

La puberté est un processus toujours identique. Ce qui change, c'est la forme sociale et individuelle sous laquelle se manifestent ces modifications. Dans notre société libérale, l'adolescence est plus longue. C'est à la fois une chance et une évolution qui comportent des risques.
L'adolescence doit-elle forcément passer par une crise ? Est-ce là, le signe d'une adolescence réussie ?
Si vous parlez de crise au sens d'oppositions ou de conflits, alors on peut dire que l'adolescence peut être effectivement pénible, mais ce n'est pas une fatalité. Le changement n'est pas forcément douloureux. D'ailleurs, l'adolescence s'accompagne souvent d'un sentiment de liberté, d'enthousiasme face aux possibilités et aux plaisirs que ces jeunes rencontrent. S'il y a des opppositions très importantes, des violences réelles, on a affaire à une adolescence dite "difficile".

Comment expliquer alors les conduites d'opposition propres aux ados face à leurs parents ?
Arrivé à la puberté, l'enfant a des besoins de dépendance plus ou moins importants selon la nature de son sentiment de sécurité intérieur et de sa confiance en lui. Il aura tendance à aller chercher la confiance qui lui manque, le besoin de sécurité chez ses parents. En cela il est dans une véritable attente.

Or, les conflits viennent, entre autres, du fait que cette dépendance affective est contradictoire avec la nécessité de devenir autonome. En effet, l'ado aura tendance à s'opposer pour inquiéter le parent. Il s'évite ainsi de ressentir toute angoisse d'abandon. Mais, dans le même temps, l'adolescent vit mal cette intrusion. Les conflits naissent de ce paradoxe entre la peur de l'abandon et l'angoisse d'intrusion. Il s'établit alors un phénomène d'attraction-répulsion avec les parents et les proches. Se pose alors le problème de la bonne distance. L'enfant doit apprendre à accepter de recevoir pour développer sa confiance en lui.

Y a-t-il des pathologies ou des troubles du comportement propres à l'adolescence ? Pourquoi apparaissent-elles à cette pétriode précisément ?
Il est vrai que des troubles de l'humeur, des maladies mentales, comme la schizophrénie, ou des troubles du comportement, comme les TOC, se développent autour de cette période (pendant ou après l'adolescence). Ces pathologies viennent rétablir le paradoxe entre la peur de l'abandon et l'angoisse d'intrusion.

En effet, l'adolescence est une période révélatrice des ressources dont on dispose. Réussir ou avoir du plaisir, c'est aléatoire et jamais définitif. L'adolescent peut avoir du mal à se l'attribuer. Par contre l'échec, on peut aisément se l'attribuer. On est maître de sa destruction. On a ainsi un véritable sentiment de pouvoir. Il est plus simple de choisir l'auto-destruction que de tout tenter pour réussir, tout en acceptant les échecs.

On estime à environ 20 % le nombre d'adolescents dits "à problèmes", quels sont les comportements qui doivent alarmer les parents ?
On parle d'une adolescence problématique dès lors que l'enfant s'enferme dans un comportement qui, d'une manière ou d'une autre, lui fait du mal. L'isolement, ne plus manger, les échecs scolaires sont des comportements qui le marginalisent. Ils appauvrissent les capacités de l'adolescent mais ils le soulagent. Prenons l'exemple des TOC, l'enfant n'a pas le choix, il s'enferme dans le TOC, car il a peur. Et se retrouve alors prisonnier de son comportement.

Quels conseils peut-on donner aux parents pour mieux communiquer avec leur ado ?
On est passé du tout éducatif ou tout permissif. Du coup, les parents ont une autorité déligitimée. Ils ont peur d'imposer. Mais le risque est de laisser son enfant s'enfermer dans la peur. Mon conseil est de dire aux parents qu'il faut qu'ils interviennent, qu'ils reprennent leur rôle de parents. Et même s'ils se trompent, ils auront au moins essayé et ne seront pas resté là, à ne rien faire ou à avoir peur comme leurs enfants. Le tout est de lui donner les outils pour qu'il se protège et se valorise par lui-même.

Pour trouver cet équilibre de la bonne distance à prendre, on peut se faire aider par un tiers, un proche de la famille ou un psy. Mais là encore, beaucoup de parents ont peur de perdre la confiance de leur enfant ou de le contrarier en l'envoyant voir un psychiatre. On peut aussi imposer la mise à distance (internat...) qui peut aider l'enfant à trouver lui-même ses propres ressources.

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